Me réveillant juste avant la nuit, dehors, près de nos embarcations, des kayaks qu’on s’était bien gardé de montrer aux sauvages en les cachant sous d’épaisses bruyères et feuillages, je rejoignais notre corporation et nous nous préparions, après la descente périlleuse du Fleuve Sacré, pour la deuxième expédition ayant pour but les hauteurs d’une montagne réputée imprenable. Avant de partir pour de bon, on angoissait déjà sur les rumeurs comme quoi des nuées d’insectes nécrophages se nourrissaient d’êtres humains au sommet. Un aspect à ne pas négliger.
En haut, des têtes décapitées de gigantesques Statues Olmèques balisaient le sentier. Puis arrivant sur les lieux, parmi les baraquements, il y avait cet entrepôt mais ce qu’on voulait voir, c’était cette monstrueuse bibliothèque à l’intérieur. Les dos multicolores des livres s’étaient grisé, les angles de rayonnages s’étaient croisés et avaient échangé leurs places ; des bouquins en triste état qu’on avait laissé aux libres usages des Indigènes, le peuple inférieur, et en voyant le tableau, je pensais que notre oligarchie avait fabulé sur son pouvoir d’instruire et de croire que la culture à portée de main pour tous était une bonne chose et bien sous-estimé la volonté des aborigènes de s’extraire socialement. Et de s’intégrer. Et pendant que nos hélicoptères larguaient du haut des cimes du matériel pour prospecter et des denrées pour vivre, ou plutôt survivre quelques jours dans ces contreforts, je tournais les pages avidement d’un manifeste sur la nudité que nos sauvages avaient glissé sournoisement entre les ouvrages délaissés, tout en les photographiant des yeux. L’une des images sur laquelle on voyait de belles fouffes de jeunes filles vierges et radieuses, m’avait autant sidéré que séduit.
Je m’attendais à beaucoup de choses, sauf à ce qui allait arriver. Bien sûr on avait déjà anticipé leur révolte et leurs désirs d’émeutes, nous préparant à les voir surgir de leurs limbes ; on avait aussi, bien évidemment, bafoué les présages de leur Circé nous promettant l’apocalypse pour bientôt… et en admirant la lumière stellaire d’une lune qui avait la couleur du kéfir se flétrir, je m’aventurais du côté des ruines proches de l’entrepôt, elles étaient encore encadrées de murs vertigineux, et les tags qu’on pouvait lire racontait l’histoire d’une vengeance, d’un horizon de cendres.
Visitant une ancienne cellule sans portes ni fenêtres, j’entendis vêler au loin des bêtes rugissantes et démentes : en bas dans la vallée, bravant l’enfer du froid et de la faim, les séditieux s’attroupaient. Ils utilisaient des bestiaux sortant tous d’un bestiaire fantasmagorique et capable d’abattre une bonne partie de nos fantassins en nous écrasant. De sinistres créatures. Et l’attaque se fit avant la fin du crépuscule, ils semblaient tous surgir de nulle part.

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Nous étions plus que neuf survivants et plus personne dans la guilde n’obéissait aux ordres comme de ne pas se laisser encercler, et d’autres guerriers et Serviteurs de Satan qui maraudaient dans le coin alimentèrent encore leurs troupes, toujours plus nombreuses ; enfermés dans la plus haute tour de l’entrepôt nous restions cloitrés, en nous servant des meurtrières ; mais leurs flèches qui tournoyaient sans cesse dans l’air étaient responsable du fatras de chairs meurtris, annonçant que la bataille était perdue pour nous. Mais à la fin, me retrouvant le dernier homme encore debout, je patientais en restant silencieux, caché dans une brèche et ils décidèrent en fin de compte de rentrer, croyant nous avoir tous massacré ; et après de longues heures, je sortis de ma cachette et j’étais sur mes gardes au cas où ils reviendraient s’assurer de leur victoire.

Aujourd’hui en zonant encore du côté de l’ancien carnage, je pense à ce traître roué pour avoir changé de camps et nous avoir trahis en livrant des informations cruciales sur notre stratégie de combat. Et m’arrêtant à la fenêtre d’un van où quelques putes minaudent, je dévisage celle qui a des yeux d’onyx et des oreilles d’opales… Les cieux se nacrent à présent de noir, et quand je tire le rideau vert et me réfugie à l’intérieur, masqué par les vitres teintées en noires, je sais qu’il y a d’autres guerres qui se trament ; les puissantes armées souterraines sous la terre affrontent d’autres milices jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Enfin, entre les bras d’une femme vénale, je rejoins les rivages de ceux qui resteront neutres éternellement désormais et je m’endors sereinement…

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