En ce début de nouvelle année, j’étais fatigué des films cinématographiques. Les Frères Lumière avaient vraiment inventé quelque chose de désastreux. En ce début de nouvelle année aussi, il n’y avait vraiment rien à se mettre sous la dent au cinéma : pas de filles chaudes et dénudées, pas vraiment de sexe, rien qu’un bourdonnement stérile et une succession d’images noircies. En plus je détestais prendre le bus qui projetait une boue glaciale sur les piétons mais mon boulot l’exigeait : donc le bus m’emmenait vers la Cité Internationale (un multiplexe lyonnais) et cette nouvelle année était comme une image éclatante et en tout point semblable à l’ancienne 2016.
Pourtant il y avait quelque chose qui me bottait bien dans les salles de projection : une sorte de correspondance attachante s’était installée entre moi et l’obscurité. Désormais je savais ce que je voulais : ne plus jamais voir la lumière du jour.
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Un homme et une femme collante, pendus têtes-bêches à l’entrée de la demeure de Satan, perdus parmi des tourbillons de neige et des explosions de cris joyeux qui viennent de nul part. L’homme n’en peut plus mais, pour que la Théologie du Feu perce au-dessus de la surface, il faut ranimer la braise que cette femme vomit à grands flots ; pour que la Théologie du Feu perce au-dessus de la surface, il faut aussi qu’elle branle l’homme vigoureusement pour qu’il puisse éjaculer d’autres combustibles : c’est une allégorie. Peut-être.
En tout cas, en dressant malgré tout son sexe raide, l’homme comme pour se défaire d’une sangsue, essaie inlassablement de s’en débarrasser et ainsi en lui jetant son sperme à la gueule comme si c’était une vulgaire salope, fait malgré lui grandir le Feu ; c’est le plus parfait des Théologiens du Feu. Même dans leur partie la plus inférieure où des fouilles archéologiques ont lieu en ce moment, les limbes infernales, qui ont conçu sur plusieurs niveaux ce multiplexe, brûlent sans jamais manquer de combustibles : tout est organisé autour du Feu.
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Une femme décroche le combiné du téléphone et une putain de moiteur s’en échappe et liquéfie son environnement. Un homme, dans la salle de projection d’un cinéma, surveille l’écran où se prépare déjà la suite d’un film qui n’a jamais existé.
Aujourd’hui, malgré leur épiphyse qui s’enraye, ils se sont levé de leur lit avec majesté, en listant ce qu’ils devaient faire… C’est de l’eau apportée au moulin de leur vie. Mais le mal s’empire, les efforts à fournir pour se lever de bon matin s’adressent à un athlète de haut niveau selon eux ; le Mal incise les pneus de leur bagnole alors qu’ils veulent se rendre à leur travail, le Mal a même réussi à exhaler une odeur d’animal crevé à la place des arômes du café matinal. Enfin le Mal énervé de les voir encore au labeur entame un plain-chant lugubre qui défie tous ces paysages pâles, décrits par Lautréamont lui-même.
Le mal s’immisce même dans le climat en déclenchant des calamités glaciales mais ils continuent, certes lentement, en s’attachant le soir à trouver un sens à leur action insensée.
Maintenant, dans la salle, on entend seulement le pop-corn qui tombe en pagaille sur la moquette qu’il faudra aspirer comme tous les jours. L’homme sombre dans un délire mélancolique, emporte avec lui le sens de son existence ; une existence qui est comme une sorte de hoquet de peur face à deux mâles qui envisagent de lui faire une surprise de retour chez lui : ils sont allongés en ce moment même dans le lit de sa femme, grattant d’impatience les draps amidonnés.
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Une formidable source d’inspiration s’étalait en flaque marron sur le carrelage de la salle de bain : l’eau avait pris la teinture de ce mystérieux carnet tombé par terre alors que je le tenais avant entre mes mains dans mon bain ; et pour suivre, tout en lorgnant la spirale du siphon de ma baignoire, mes pensées à propos des étoiles montantes du cinéma, j’avais perdu la mémoire et perdu tout, tout court : ma femme, la confiance de mes proches, ma sobriété etcétéra ; tout ce que j’avais perdu était lié en quelque sorte à ce personnage que j’avais vu dans un film récemment : le visage balafré augurant qu’il était crapuleux mais sans l’âme des naufrageurs (vous savez ces étudiants fondamentalistes qui ne pouvaient rêver que de dieux les invitant dans la très grande baignoire de marbre blanc pour un sauna paradisiaque ; sauna que j’ai fait construire suite à une arrivée incroyable de Napoléons sonnants et trébuchants…)
Il n’y avait que des erreurs dans ce carnet censé décrire ce que la salle obscure du cinéma ce jour là avait projeté. Des cadavres. À un moment, il n’y avait plus que ce passage sur les crimes par le feu que j’avais commis un jour de Saint Con.
Comme un dérapage ou une maladresse déferlant sur la crête obscure de la théologie incendiaire. Et pourtant tant d’erreurs auraient pu être évité, à commencer par ce moment où je me suis immiscé dans le système d’aération. Après le bûcher.
Après le bûcher comme une vision claire que les nouveaux inquisiteurs m’ont peut-être bel et bien inspiré. Des artisans de la fiction en phase terminale, en fin de compte.
Sélectionnant dans sa mémoire de rescapés (presque apparentés à ceux du Bataclan) sans que je puisse effacer tout ça, l’unique survivant avait dit avant de sombrer dans un rêve macabre que seuls les frères Lumière auraient pu empêcher tout ça alors comment faire machine arrière ?