Lunes rouges aux Philippines

Lunes rouges aux Philippines pour d’imprévisibles constructions génétiques : étincelles et feux follets pour un ADN que les épidémies ravivent, noirceurs sans fond pour que la tournée des gueuses soit sans bagage génétique, pirates informatiques codant pour un 11 novembre et tout le tsoin-tsoin des devoirs solennels, séquoias géants et camélias virant au jaune vif loufoque pour faire régner leur dictature…

Alors, en touchant le nerf central, ce point central qu’on osait à peine évoquer dans nos contrées, notre milice encourageait les scolopendres, après la tournée des gueuses, à boire comme des trous jusqu’à la tombe.

Et puis, de toute façon, c’était mieux pour supporter le froid polaire que cette Loi du Nord attribuait à la vodka ou à nos causes perdues jusqu’à transcender les non-sens et les non-dits… mais pour un peu de chaleur, nos yeux tisonnaient le corps de toutes ces femmes nues, nos yeux hébétés à la façon d’un Duke Ellington et le lierre nacré, sous les voûtes d’une cathédrale vétuste et gothique, cravachait sans relâche depuis deux lunes pour rapiécer nos cottes de mailles en lambeaux, alors tout pouvait bien nous arriver, ça nous était de toute façon égale.

Le cercle

Nos sangliers de trait haletaient furieusement dans la nuit… D’incomparables naïades venaient de nous usurper et la matrice mère se noyait dans un nuage de lait.

Ainsi les sauvages nous avaient bel et bien fait la peau et nos ecchymoses racontaient comment des fleurs de lotus nous avaient rossé à mort. Nos corps, dont les pieds dépassaient du linceul, souriaient de leur nudité ascétique, et nous étions peut-être perdus parmi des tempêtes de pluie et de neige mais nous étions heureux ; et, nous le savions, ce n’était pas dans cette jungle où pullulaient nos ennemis que nous allions rendre l’âme. Une sorte de jungle babylonienne qui versait dans la rouille et sentait les mégots des cendriers étincelants : juste une entrée informatique dans cet écosystème s’embarrassant, à en perdre la raison, de ruisseaux limpides. Dehors les tempêtes de pluie et de neige qui véhiculaient leurs jurons, nous revigoraient déjà… le cercle sacré des momies était loin d’être brisé !

Les champs de colchiques

Elle s’ébattait dans les champs de colchiques. Et pour me glacer le sang, elle me poursuivait et courait en aspirant les nuages – des nuages qui avaient le don des formules alchimiques – mais on allait jamais jusqu’au bout, et tout s’arrêtait, notre profane tranquillité puis cette rêverie.

Des pensées qui nous jetaient dehors en crapahutant dans les sentiers, à la recherche de combattants à l’agonie, ou de poupées aux yeux mi-clos, crevant lentement sous les dunes noires. Ils étaient, ces guerriers de la route, purulents et, de leurs testaments à noircir, chialait de l’écume blanche… par comparaison, leur idole aux yeux noirs compatissants, sans que le bleu de leurs pupilles ne s’improvise, confondaient les symboles ésotériques avec d’autres espèces fantasmagoriques.

Mais déjà plaines et montagnes redevenaient étranges comme le ciel qui se passait très bien de ces inventeurs d’alambics. Alambics bizarres quand l’armée des ombres trouvait un autre point de chute, une autre mise en abîme haute comme nos catapultes ; presque rien de tangible à s’y méprendre, et donnant presque rien sinon qu’une amère vodka dont le fiel était un rêve, la somme des causes perdues ici-bas ou Là-Bas quand nous avions pour devoir de la descendre gaiement…

Le halo vert

Presque rien mais de la noirceur tout de même… rien de tangible alors que les murs de Babylone s’effondraient, peut-être un astre lactescent comme les cheveux de Circée, ou bien quelque chose de fantomatique comme les forces spirituelles d’un amalgame de grès noir…

Avais-je déjà rejoint les limbes quand nos sangliers de trait halétèrent, quand notre mal de chien atteignit d’autres cerveaux, davantage plus tristes, davantage lugubres ? Mais sans doute je devais rêver et cette rêverie était conçue par des programmes informatiques, eux-mêmes conçus pour renflouer les poches des marchands sans scrupules. Des poches renflouées avec de l’or, de l’ambre, de l’encens, des idées et des brouillons pour donner vie aux palaces vénitiens qui n’attendaient que ça.

Et tout s’arrêtait quand leurs voûtes s’écroulaient et enfantaient juste de la poussière – et dans la poussière les silhouettes dessinées à la craie et au fusain dansaient. Des femmes qui, en se regardant dans la glace, ne voyaient que du vide. Puis d’autres murs se lancèrent à leur tour pour rosser les statues en marbre blanc qui tenaient encore debout. Et ressemblaient, à s’y méprendre, aux beautés des orgies romaines ; puis le matin se leva… puis les gens en goguette rentrèrent chez eux… oubliant pour une nuit que c’était un peuple de nomades, ou une machine sophistiquée qui leur permettait encore de rêver, et, en corrigeant sévèrement tout ce qui n’était pas affaire de mœurs, le halo vert de leur épisode onirique s’étiola.

Le fragile sourire baudelairien

L’entaille profonde jusqu’à l’os, Gargantua couinait. L’hypothèse échafaudée, les lèvres surchauffées d’excitation se courbaient. Le visage hâlé par le soleil, la ferveur des veuves sanglantes médusait même les orateurs. La pente étant orientée est-ouest, le colosse de pierre mâchait la noirceur des aventures rageuses de Lucky Pierre…

Les arbres du haut et ceux du bas formant quelques obscures forêts, les matrices binaires, filant à l’anglaise sans être débusqué, se retrouvèrent sous les racines des baobabs mensongers et immoraux. Le phénomène naturel se débarrassant de ses plus amers soupçons, l’impératrice fut accusée de défendre les causes perdues ; le loquet placé en bas, la neuvième porte ne pouvait rien craindre.

Une haie fleurie de camélias menant jusqu’à la maison, même les professeurs de phénologie ne pouvait faillir à leur mission. Un couple de jeunes amoureux apprivoisés, ils allaient même ranimer le secret des bâtisseurs partis aux combats : de joyeux drilles qui n’en avaient que faire du spleen, du fragile sourire baudelairien, mais qui par une riante matinée les avaient embobiné comme bien d’autres fanatiques de la lettre du voyant ! 

Hasard et Tamagotchi

Le hasard tombant dans un godet qui accueillera bientôt le khat du mendiant. Le hasard comme seul savoir-vivre et les probabilités des orfèvres comme savoir-faire que les marchands et les brocanteurs trouvent dérisoire… et par dessus tout cela la caverne terrible, inapprochable où les achats de boucs sacrés des géants ahanant, geignant, se négocient sans jamais louper une opportunité discutable.

Cependant je cherchais quelque chose d’original dans ces marchés ; quelque chose qui pourrait clôturer le cours des orchidées en bourse, je fis ainsi l’acquisition d’un étrange Tamagotchi piraté et étant capable de prolonger l’exil de toutes les compagnies internationales de fleuristes… cependant, en l’allumant, des terminaisons latines étaient apparues sur l’écran d’accueil. L’appareil devait être branché à un kelvinomètre que j’avais orienté en dessinant un cercle infranchissable sur le papier d’un croquis, ce cercle représentant le hasard.

Et selon un corpus occulte pour ranimer mon Tamagotchi d’une longue hibernation, je le sortais d’une mauvaise passe, son karma et ses futures vies mettant fin aux conflits les plus archaïques.

Et enfin les combinaisons gagnantes du loto défilèrent en détraquant les systèmes d’arrosage des gazons verdoyants, l’imprimante aussi qui se débattait pour ne pas crouler sous des rames de papier, et même la production céréalière du Kazakhstan et d’autres territoires qui me semblaient être aussi indéterminés que délimités. Les forces spirituelles de la machine à l’aube se cuivrèrent d’un amalgame de grès noir… Et prédirent que la dernière jacquette d’un livre sur les probas serait parfumé mais tant qu’il aura d’interminables couloirs que Kubrick arpentera en les trouvant moyennement factices, on bidouillera les drôles de jetons s’insérant dans les Tamagotchi de troisième zone pour que les disc-jockey lévitent comme de vrais moines tibétains. La lévitation pour naître de l’éden et les jeux d’argent comme un moyen de révéler le hasard, et de le réveiller en dépoussièrant la poussière grise de nos écrans…

La bobine de Cassandre

Milan noir, joueurs du dimanche, et cartes de tarot. Et si on ajoute tout ce qui a été piraté, alors la conscience surnaturelle surgira de nulle part.

Nains de jardin, simplet et joyeux, poètes inconnus et disparus, émissions radiophoniques en commençant par un hommage aux calices à en devenir complètement cintré, et si on soustrait le tout avec l’orgue électrique de Cassandre, alors le plasma et les matières synthétiques devraient servir à la fabrication de colliers d’une autre trempe.

Complainte érotique comme un leitmotiv mélodieux ou désaccordé, fêtes barbares et païennes, rails d’un autre siècle aussi délirant que la guitare de Kurt Cobain et maldonne quand les lagunes se dessinent parmi des failles vêtues de cuir noir canonique et si on les multiplie en dévoilant ce qu’il y avait sous les bandages de la momie atrophiée, alors leur décomposition, aussi kafkaïenne qu’une guerre sainte, laissera son empreinte alchimique dans les disques durs chargés à bloc, la bobine cent-quatre-vingt-treize de Cassandre n’a pas fini de tourner.

Des dieux d’une autre trempe

Des dieux oufs, que les fêtes païennes commémorent encore, l’avaient insensibilisé, cette conscience surréaliste, aux événements tragiques de la vie ; et les karts, qui dégorgeaient encore de l’huile de vidange sur le sable rose de la ville lacustre organisant ces célébrations, avaient arrêté leur boucan pour rendre un dernier hommage à ces divinités cintrées.

Leur sanctuaire n’était qu’une passerelle pour voir d’autres mondes enfanter des univers parallèles mais on y trouvait tout ce qui était nécessaire pour diluer les terreurs nocturnes et les cauchemars des enfants et diluer aussi les nuits profanes. Et dans les salons du rez-de-chaussée, d’illustres poètes vantaient, sans vaine ostentation, leur force et leurs énergies.

Car ils étaient tempétueux, ameutaient les rafales qui détruisaient les boiseries, les cyclones qui ne laissaient plus aucun lambris sur les toits et les murs, les tempêtes défrayant les chroniques ; cependant après leur colère aussi brusque qu’opiniâtre, ils redonnaient vie à ces engins conduits par les fidèles : des têtes brûlées et bariolées aux couleurs d’une guerre honorant Athéna, des kamikazes qui n’avaient rien à envier aux mercenaires les plus sanguinaires…

Horticulture et bouquets de nerfs

Une course de Kart qui défraye la chronique et des karts qui dégorgent encore de l’huile sur le sable rose de la ville lacustre organisant l’événement.

Puis d’autres époques, où les trains, en avançant peu à peu, prenaient de l’élan, se frayaient un chemin parmi les boutiques les plus à la mode. Juché toujours plus haut sous les dômes de glace où des enfants patinent avec des mocassins, c’était l’un de ces trains de luxe qui s’évertuait à nous pousser toujours plus loin, au-delà du crépuscule basculant du rouge au bleu nuit en passant par le jaune canari des nouveaux rivages.

C’était avant tout une transhumance d’hommes qui quittaient leurs femmes pour leur rapporter des robes de couture, curieusement lors d’un jubilé ; ces mêmes robes qui rabougrissaient comme des roses malades et au jeûne forcé. Ce qui enfantait, sans l’espoir d’une autre issue, une souffrance invisible, l’aura et le poids d’obscurantisme asphyxiant requis s’épaississant d’autant. Une douleur violente qui revenait, sans bien savoir pendant combien de temps, s’y ajoutait à présent un chatouillement insupportable sans pouvoir ni juguler ni rajuster ce bouquet de nerfs (et dont il n’était pas rare qu’en jouant le jeu, et si on était minutieux et prosaïque comme une famille mononucléaire, il apparaîtrait en contaminant les franchissements rituels de cercle, pour disparaître ensuite.)

Il y avait aussi des cercles de poètes que striaient des traînées de neige noire mais depuis que leurs péroraisons s’étaient leurrées sur leurs positions retranchés, d’autres tribus de type père-mère-enfants en avaient profité pour restreindre les ventes de jeep : ici, après la course de kart, protestant en regardant ensemble les véhicules qu’ils ne pourront jamais acquérir, ils venaient se battre comme des chiffonniers, à mort, entre eux, et au même moment, d’autres combattants se menaçaient, s’insultaient, vociféraient dans une émission de télévision, alors que d’honorables négoces auraient désenvouté les effets et les pouvoirs de ces bouquets de nerfs… en attendant qu’ils se calment, baignant dans le kéfir d’étranges animaux chiennaient dans des bassines d’où jaillissaient des araignées, inconnues dans nos régions.

Juxtapositions

Des juxtapositions de triangles imparfaits ; des couloirs latéraux qui font jonction avec toute cette incohérence, puis le non-sens avide de questions.

Ce non-sens qui a fait naître en ces lieux humides une jeune femme aussi belle que ces autres juxtapositions de triangles hasardeux, et qui font chauffer la mémoire d’un ordinateur mélangeant les données d’un encéphalogramme avec celles d’un électrocardiogramme.

Puis le sens revient à la ligne et écluse tout en écumant le long des sept océans, ces océans accueillant des îles où des goélands apprivoisés ont muté.

Et d’autres couloirs cette fois parcourus verticalement et en apesanteur pour mettre fin aux raisonnements souvent répudiés. De vieilles machines pas belles qui nourrissent le cerveau de la jeune femme, précédemment citée, d’informations contradictoires.

Et on a même disposé des kyrielles de bassines pleines d’eau et de boues comme il n’y avait plus de plafond, un plafond que les phonographes, en clignotant d’un rouge vif, veillent à ce qu’il ne devienne pas une coupole de glace.

Sous ce dôme des marchands vendent d’étranges machines sophistiqués qui me semblent trop compliquées à utiliser.

Il y a aussi en ce moment comme actualités des guerres très persuasives comme autant de navires à la mer et qui sombrent déjà, ce naufrage que les mondes souterrains nous envient.

Le sang noir du Seigneur de la Louisiane

Les vectographes et les Kelvinomètres enregistrant l’épopée onirique avaient perdu le nord. Le lendemain, ils n’étaient plus en mesure, ces rêveurs, d’en garder un souvenir à leur réveil. Ils arpentaient alors les immenses hectares des jardins ultramarins de la ville basse et on dût attendre, un soir noir comme un curé irlandais, le crépuscule suivant pour qu’ils retrouvent leur esprit.
Leur esprit et leurs corps, et même les pages qu’ils avaient écrits quand ils étaient en transe. Et tout ça s’était révélé incroyablement faux et amer lorsqu’au petit déjeuner ils avaient attaqué l’indécent anis et la féconde absinthe… mais elle faisait quand même tourner toutes les têtes, la jeune employée de Youssouf qui défendait les causes perdues ; leurs causes perdues ? Le rêve si doux d’une simultanéité, d’une multiplicité et d’une disparition dans les forêts qui avaient été ravagées, et dont il ne restait qu’un seul arbre survivant. Un chêne mystérieux dont l’énorme tronc noir poireautait en attendant les iconocides ; et ses racines qui s’arrachaient hors de terre étaient utilisées pour fermenter et distiller d’autres tord-boyaux, tord-boyaux qui avaient un goût d’essence bien noire comme le sang du Seigneur de la Louisiane !

Trop bizarre pour vivre, mais trop rare pour mourir

« Nous, les innombrables enfants aveugles, nous vivons enfermés dans cet endroit depuis toujours. Nous avons toujours connu ce dallage humide, ces murs froids à perte de vue, nous ne nous souvenons de rien d’autre. Nous ne savons rien de ces lieux, ni pourquoi nous y avons été placés. Nous nous terrons douloureusement dans les recoins de ces plaines bétonnées, tentant vainement de nous regrouper. Notre cécité fait de nous un troupeau mouvant, sans contours. »
« Prototype personnel de Dieu, mutant à l’énergie dense, il était le dernier d’une espèce : trop bizarre pour vivre mais trop rare pour mourir. »

1.
Tant d’enfants disparaissaient que c’en était presque une épidémie. Près d’une douzaine de garçons avait disparu depuis mon arrivée en juillet – uniquement des garçons. Leurs photos apparaissaient brièvement sur Internet et dans des mises à jour sur des sites spéciaux qui leur étaient consacrés, leurs visages solennels qui vous dévisageaient, leurs ombres qui vous suivaient partout. J’avais lu un nouvel article sur la disparition d’un boy-scout, le troisième de l’année. J’étais déjà lessivé, avant même d’enquêter mais le journal mentionnait aussi la profanation d’une tombe à la mémoire d’un type tué, un tas de pierres surmonté d’une croix pour honorer le défunt, on racontait qu’on entendait, devant ce monticule, son fantôme pleurer. Ainsi je partis cette nuit en allumant ma loupiote aux lumières chatoyantes et en laissant une page vide dans mon carnet à remplir quand je serais de retour de cette virée suivant une rivière saumâtre, ce qui me paraissait en soi assez délirant pour retrouver des jeunes hommes et invoquer un Esprit geignant qui me guettait déjà depuis ma fenêtre ouverte !
2.
En approchant du comptoir d’ivoire il vit qu’elle avait beaucoup changé : elle avait les cheveux courts et elle était plus mince. Elle était toujours aussi jolie, ses yeux verts resplendissaient. Bob l’éponge était loin du genre à se démotiver pour le boulot mais ces derniers temps, il y avait fort à parier que son patron lui enlèverait encore de l’argent sur son salaire, mais de se retrouver avec Beth dans le Crabe Croustillant lui avait fait oublier ces probabilités odieuses… Des motos débrayèrent dehors en rendant de l’huile de vidange sur la route, et des troupes occultes vêtues de heaumes cherchant tous ces enfants disparus depuis juillet se castagnaient entre eux, pour un malentendu sûrement. Peut-être aussi parce que leur recherche n’avait donné aucun résultat.
Bob entendit Beth lui demander de faire un quinquina et il s’exécuta mais il pensait encore à son chèque que le capitaine Krabs allait négligemment remplir mais maintenant ça ne l’inquiétait pas plus que ça. Et même les tâches ingrates quand il allait être de corvées (sans doute pendant des lustres) ça le faisait en réalité kiffer… un manque de jugeote pourrait le qualifier de naïf, d’inconscient, ou même d’imbécile mais en réalité ce prototype personnel de Dieu, ce mutant à l’énergie dense jamais conçu pour la production en série, était le dernier d’une espèce : il se hâtait toujours de de servir les clients et d’arriver avant l’heure, débutant ses horaires de labeur bien avant l’aube. Si ingrat, ce capitaine Krabs, mais Bob était si reconnaissant qu’il lui dévoile la recette secrète des pâtés de crabe. Mais Beth comptait bien sur Bob pour qu’il se révolte, se virilise et elle n’avait pas fait tout ce chemin pour ne pas réaliser son projet mystérieux. Elle commençait à avoir des doutes extrêmement lancinants sur Krabs depuis qu’elle fréquentait Bob.
3.
Sans écouter Bob protester faiblement, Beth avisa la vitre fumée d’une porte de bois sombre, entre le buffet et la bibliothèque, l’ouvrit et chercha à tâtons un interrupteur ; il lui sembla qu’il s’agissait du débarras. Le sol était de béton brut. À la lumière des deux néons qui clignotaient, elle découvrit un immense atelier où des machines-outils recouvertes de bâches sommeillaient au milieu de tableaux noirs ou blancs, de panneaux de liège, d’affiches, de lourds cartons poussiéreux et de posters. L’ensemble avait été recouvert de photographies collées, scotchées ou punaisées, accompagnées parfois de post-it multicolore, de feuilles de brouillon d’écolier arrachées à des carnets à spirale pour légender ces centaines ou ces milliers d’images ; partout il n’y avait que des visages.
Et en nettoyant la poussière de tous ces portraits et de ces cartons, elle découvrit avec surprise deux anciens portefeuilles en crocodile avec fermoirs en laiton, un carnet en cuir usagé, rempli de notes écrites en langue étrangère et une bouteille de vin rouge millésimé dont l’étiquette avait beaucoup souffert.
Soudain elle comprit. Il y avait peut-être trois mille visages, mais d’une seule et même femme. Et cette femme, c’était elle.
À présent elle tenait une photo qui semblait être hantée par l’imagination de Tim Burton ; son visage qui ressemblait à Lady Crane, cette jeune sorcière dans Sleepy Hollow, la pétrifiait.
Le monstre la collectionnait depuis des années. Des sessions oubliées dans le Tunnel-sans-fin lui revinrent en mémoire : elle avait longé la rivière où des lavandières lavaient encore leur linge, pour arriver jusqu’au tunnel qu’un pont enjambait, presque arrivée elle vit des enfants affamés fouiller des poubelles alors que l’eau de la rivière stagnait, les tourbillons et les remous étaient lents. Elle ressemblait à un tapis sale et froissé. De l’autre côté du pont, elle apercevait des voitures et des silhouettes à l’arrêt. À ce moment, elle fut contrainte d’y croire : Aberdeen toute entière s’était figée. Elle n’entendait plus son cœur battre ni même Krabs lui donner des indications sur son shooting. Un moment qu’elle enfouirait dans sa mémoire, ne se souvenant même plus qu’il y avait dans les malles à côté d’elle des layettes en sang et des vêtements troués et en lambeaux, que le temps s’était détraqué et qu’elle ne respirait sans doute plus.
Elle passa sa main sur son front, se frotta les yeux. Mais pourtant ça s’était bien passé, sûrement qu’auparavant elle avait été droguée par Krabs et qu’un autre être ou qu’une horrible chose était responsable de cet univers, qui, lui, s’était arrêté.
C’était à cet endroit qu’elle était revenue à maintes reprises : parcourant les autres photos, elle vit celles de la scène d’orgie, photographiée maquillée, démaquillée avec cette fois en arrière-plan des kymographes pour enregistrer les mouvements de son cœur ; le jour aussi où elle faisait semblant de débattre, cette fois-ci, les cheveux courts, avec une foule de jacobins en costume, l’éclat de rire de Krabs et son sourcil levé quand les chiens des vagabonds avaient jappé, tandis qu’il débitait encore d’autres conneries, et elle, encore elle, toujours elle, sur des mètres carrés, sans début ni fin, à toute heure, en toute saison et d’année en année ; tout ce qu’elle avait jamais montré d’elle se trouvait ici et ressemblait à une obsession et c’était un doux euphémisme.
« Mademoiselle ! »
Krabs se tenait à présent devant elle, il s’était couvert la tête d’un linge sec, et se tenait dans l’embrasure de la porte. D’une main tremblante, elle attrapa une pelle, la brandit par le manche et assomma le patron de Bob l’éponge. Elle enfonça ensuite le tranchant de la pelle dans les photogrammes, tapa du plat contre sa pose en sous-vêtement, envoya en l’air un portfolio pendant que Bob déambulait en vidant des jerricanes d’essence partout et tout ce qu’il resta, après l’incendie, du Crabe Croustillant, n’était qu’un tas de gravats et de cendres fumantes. Le khôl sur ses yeux avait coulé, Beth avait l’impression qu’elle pleurait pour la première fois… Bob passa une main sur son épaule, comme s’il s’agissait de la consoler.
En réalité, c’était des larmes de joie.

Deux mois plus tard, le temps immobile gangrénait toujours dans le tunnel mais toutes les lavandières, qui lavaient leur linge en amont dans cette même rivière, avaient reçu le don de faire pousser les récoltes ou de rendre stériles les terres des gens qu’elles cherchaient à affamer et le détraquement du temps, pour elles au moins, avait transcendé la perte de leurs fils, leurs disparitions soudaines…

4.
« À l’heure où j’écris ces lignes, j’ai retrouvé les disparus, de l’eau sale perlait encore sur leur peau et ils semblaient cuver, comme ivres. Ils avaient seulement fugué et Il les avait accueillis dans son royaume aux murs ivoirins ; les fugueurs cueillaient des fleurs aussi étranges que malades quand je les avais aperçus, après être allé jusqu’au bout du tunnel. Je sais maintenant que d’autres mondes ne vont pas tarder de se dévoiler ; des mondes qui viennent d’être enfantés par Krishna ou Shiva ou même par Momo, le roi des légendes urbaines, avant même qu’ils soient pollués et inhabitables… je sais maintenant qu’Il ne vient absolument pas d’un conte de fées et même si Il lui arrive de batifoler avec les cafards et les cloportes hantant le lavabo, il a toujours assez de force pour blasphémer, même la gueule en sang, allongé sur le sol froid des hangars après une bonne raclée. »
« Je sais depuis peu que les gamins perdus avaient pris la fuite et que ces idiots accusant les sorcières maléfiques du coin d’en être responsables avaient tort. Le temps s’était inversé dans le tunnel où on avait retrouvé les gosses, ce qui avait eu pour effet de les transformer en laitue humanoïde, mais ils étaient prêts à tuer quiconque voudrait les ramener à la réalité, leurs violences, leurs comportements tempétueux peuvent attester que cette faille spatio-temporelle ravive les traits les plus sombres de leur personnalité, bien loin et bien plus terrible qu’une simple crise d’ado. Et pendant que d’autres jeunes hommes se dévergondent dans les rades à punk, les univers parallèles Il les dilue et dilue leurs nuits profanes car il est le seul Maître du temps. Je sais aussi qu’après la tournée des troquets, quand nous aurons atteint les ruines du Crabe Croustillant où travaillait Bob l’éponge, Beth sera fier de lui, et Bob se surpassera pour imaginer des sévices et des tortures, comme de crocheter notamment les langues et les organes des influenceuses et des influenceurs par des crocs très vraisemblablement rouillés ; à leur suite, les générations suivantes abandonneront définitivement leur activité, angoissés à l’idée que Beth et Bob puissent sévir. Et déterminés de mettre fin eux-mêmes à leur règne d’or et ils ne pavoiseront plus ; leur règne qui vacille déjà depuis que la route, montant en lacet jusqu’au pont qui enjambe le tunnel, enténèbre les traqueurs de photos et les décourage de poursuivre plus loin, et tous ceux qui nous harcelaient, photographiaient en enfermant nos âmes brûlantes dans une simple pellicule ou un médiocre téléphone pour des réseaux sociaux minables, Il les réduira en poussière et attirera d’autres adolescents dans son piège. »

Les lavandières

L’eau de la rivière stagne, les tourbillons et les remous sont lents. Elle ressemble à un tapis sale et froissé. De l’autre côté du pont, j’aperçois des voitures et des silhouettes à l’arrêt. Je suis contraint d’y croire : Aberdeen toute entière s’est figée. Je n’entends plus mon cœur battre, je ne respire sans doute plus. Je passe ma main sur mon front, me frotte les yeux. Mais pourtant je bouge. Et c’est horrible de se mouvoir lorsque l’univers, lui, s’est arrêté.
C’est à cet endroit que je l’ai rencontré la première fois et à cette époque Kurt enchaînait les petits boulots. Et sous ce pont où d’autres loosers végétaient, Nirvana se nimbait d’un halo mystérieux…

Deux mois plus tard, le temps immobile gangrénait toujours mais toutes les lavandières qui lavaient leur linge dans cette même rivière avaient reçu le don de faire pousser les récoltes ou de rendre stériles les terres des gens qu’elles cherchaient à affamer et le détraquement du temps, pour elles au moins, avait transcendé leur désir mortel de se venger…

Maldonne et guerriers de la route

Il y avait déjà eu maldonne quand tu avais démontré, en lançant tes gants de boxe sur un vieux canapé poussiéreux, la mystérieuse laideur de cette guérilla qui avait duré ces sept derniers jours. 

Il y avait maldonne lorsqu’on se rappelait de la douleur et de la souffrance de leurs exécutions macabres. Des exécutions dépêchées par des cours d’assises incohérentes. Il y avait maldonne et je le savais depuis déjà bien longtemps, avant même que les guerriers de la route errent sans but, transis, essayant d’affronter la pluie, observant les allées et venue de ce beau monde en quête d’enchère et de sacerdoces occultes.

Un monde de clowns

Notre captivité était un état immuable, permanent, sur lequel il était inutile de s’interroger : il n’y avait pas d’explication. Nous étions là, tenus enfermés depuis toujours et pour toujours. Nous étions des victimes en puissance. Nul besoin d’en savoir plus.
Dans les jardins immenses au centre du labyrinthe, toutes les fleurs poussaient de travers et malgré nos efforts les plus minutieux, elles fanaient toutes avant même de s’ouvrir et pourrissaient en donnant un tapis de pétales noirs, interchangeables.
Captifs, abandonnés au centre de cet enchevêtrement insensé de salles aux proportions de cathédrale, nous tâtonnions le long des parois irrégulières, butant contre chaque obstacle. La plupart, des poubelles d’où goûtaient des substances aussi liquoreuses que nos pensées. Mais on trouvait aussi à l’intérieur des saphirs et des diamants, des fringues sales, des monocles cassés et des manuels féministes pour se vêtir comme une guerrière.

Amnistie et amnésie

Son port était martial, assuré, fier, presque provoquant… Elle venait d’un jeu vidéo. Une existence imaginaire qui se combinait astucieusement et même sournoisement à ma névrose.

Cette obsession avait jadis été transformée par les magiciens d’Oz quand son armée dilapidait sa fortune, après les nombreuses guerres que les chiens du désert presque tous abandonnés, avaient nettoyé en rongeant les os et les moignons ; des moignons qu’elle rêvait d’amputer.
Et pour abréger la mocheté du virtuel où elle évoluait en décimant des aborigènes, elle savait transcender les Gueules de Bois parmi ses troupes ; l’amnistie qu’elle ne voulait surtout pas nous accorder se transformait en amnésie.

Les enfants aveugles

Nous étions nés d’un silence mortel qui s’était installé insidieusement. L’âge avançant, ce silence mortel avait enflammé nos moteurs et nous ne vivions que pour une ultime partie de poker censée nous dispenser de l’obscurité. Car nous étions infiniment plongés dans le noir ; et nos ennemis, s’alliant entre eux pour saboter les routes et les autoroutes où nous devions passer, allaient prolonger cette obscurité.

Même la lumière stellaire de la lune était bien trop opaque, les journées éternellement pluvieuses n’arrangeaient rien. Mais un autre silence mortel, comme un écho à celui qui nous avait enfanté, perça jusqu’au fond de nos tempes creuses… et nous nous étions alors rendus compte qu’on n’avait jamais quitté les jardins et leurs inextensible clair-obscur lorsque nous étions venus au monde ; des jardins immenses au centre d’un labyrinthe, et toutes les fleurs poussaient de travers et malgré nos efforts les plus minutieux, elles fanaient toutes avant même de s’ouvrir et pourrissaient pour faire un tapis de pétales morbides, interchangeables.
Captifs, abandonnés au centre de cet enchevêtrement insensé de salles aux proportions de cathédrale, nous tâtonnions le long des parois irrégulières, butant contre chaque obstacle… la mort des baleines comme seul salut de nos âmes, la dose mortelle d’un siècle de silence comme cuillerée à soupe à prendre à chaque crépuscule, à chaque aube nouvelle…

Le lieu et la formule

Sur des échasses, de chagrineux marchands de thé ne retrouvaient pas la sortie, cachée dans les jungles des collines ivoirines de Big Sur…

Sur les crêtes himalayennes les joueurs de dés et d’échecs n’avaient qu’une infime possibilité de gagner ; et dans les jardins de Babylone que des chars d’argent et de cuivre traversaient à la hâte, on surveillait l’audimat pour qu’il reste dans la norme. Au sous-sol, on pactisait avec le diable et Rimbaud le couvrait de fanions flamands en guise de couverture.

Au-dessus de la voie ferrée, les négociations pour un ultime voyage à New-York allaient bon train. Dans les abysses, on cogitait sur tout ce temps perdu ; et enfin en pleine nature, des boutures malingres à la floraison monstrueuse imaginaient pour nous d’autres galaxies, des paysages de désolation sans fin.

Comme un crépuscule

Des armes à la place des moignons que Burroughs rêve d’amputer. Des armes pour s’acquitter de ces montres unidirectionnelles qui rendent fous tous les chevaux et des armes pour refaçonner les éléments de leurs univers qui gaspillent l’essence et le bois de leurs planètes…
Et enfin par-dessus le marché de nouvelles armes atomiques que nous désirions posséder quand bientôt la liste des fantasmes sera dévoilée sur les téléphones, quand il nous faudra traverser à pied le boulevard périphérique sans fin. Et plus tard sur des chevaux (mais est-ce bien des chevaux) nous partirons pour abréger leurs vies, et même les moutonnements d’étoiles louperont quelque chose lors de nos attentats.
L’opération avait commencé dans un sous-sol, qui dégageait une puanteur vraiment très forte mais mon équipe de pieds nickelés n’y prêtait pas attention, elle n’avait maintenant qu’une seule idée en tête comme des chimpanzés envoyés dans l’espace et même cette nuit, qui allait être bien trop différente pour déserter ou abandonner, avait enflammé le pouvoir de notre imagination.
Construisant des barricades sur les ponts principaux avec un amas de poubelles, de planches et de poutres récupérés par ci, par là, quand les visages s’étaient mis à blêmir, on allait enfin affronter les ennemis de nos amis détruisant la pangée à tour de rôle… au petit matin, revenant seul sur les quais, je remarquais un dessinateur qui copiait à l’huile le paysage d’une carte postale, un fleuve avec des sampans et un ville au fond ; une cité où j’imaginais ma nouvelle vie, où je serais reparti de zéro commençant par un boulot de forains, où j’aurais lutiné la déesse de la rédemption et du pardon, toujours propre comme un sous neuf…

Le voyage

Le monde avait tant connu de grandes guerres pendant notre voyage interminable en montgolfière qu’il ne restait plus grand chose, parmi ces paysages apocalyptiques… enfin c’est ce que j’expliquais à Cassandre, affalée sur la banquette d’une limousine qu’on avait retrouvé au fond d’une mare… il ne nous restait plus qu’un sac de fève et d’avoine dont la coloration virait au verdâtre mais elle m’avait dit, à la manière d’Ariane, comment concevoir et sortir du labyrinthe de son rêve ; même les cauchemars les plus possédés elle rééquilibrait leur énergie, leur force afin de s’en servir comme combustible pour la montgolfière, lorsque ce serait l’heure de repartir, lorsque la liste de nos fantasmes et de nos désirs paraîtrait sans fin.

La fugue

« Je sais maintenant que d’autres mondes ne vont pas tarder de se dévoiler ; des mondes qui viennent d’être enfantés par Krishna ou Shiva ou même par Momo, le roi des légendes urbaines, avant même qu’ils soient pollués et inhabitables… je sais maintenant qu’Il ne vient absolument pas d’un conte de fées et même si Il lui arrive de batifoler avec les cafards et les cloportes hantant le lavabo, il a toujours assez de force pour blasphémer, même la gueule en sang, allongé sur le sol froid des hangars après une bonne raclée. »

Je sais depuis peu que les gamins perdus avaient pris la fugue et que ces idiots accusant les sorcières maléfiques du coin d’en être responsables avaient tort. Le temps s’était inversé dans le tunnel où on avait retrouvé les gosses, ce qui avait eu pour effet de les transformer en laitue humanoïde, mais ils étaient prêts à tuer quiconque voudrait les ramener à la réalité, leurs violences, leurs comportements tempétueux peuvent attester que cette faille spatio-temporelle ravive les traits les plus sombres de leur personnalité, bien loin et bien plus terrible qu’une simple crise d’ado. Et pendant que d’autres adolescents se dévergondent dans les rades à punk, les univers parallèles Il les dilue et dilue leurs nuits profanes car il est le seul maître du temps. Je sais aussi qu’après la tournée des troquets quand nous aurons atteint le Crabe Croustillant où travaille Bob l’éponge, Beth sera fier de lui, et Bob surpassera tout ce qu’elle avait imaginé notamment au sujet des influenceuses et des influenceurs qui abandonneront définitivement leur activité comme Krabs, angoissés à l’idée que Beth et Bob mettent fin à leur règne d’or et ils ne pavoiseront plus ; leur règne qui vacille et les traqueurs de photos, et tous ceux qui harcelaient, photographiaient en enfermant nos âmes brûlantes dans une simple pellicule ou un médiocre téléphone, Il les réduira en poussière.

Désuets et incompréhensibles

Désuets et incompréhensibles comme les fiches de service que les stars de la télé-réalité épinglent sur leur casier pour ne pas sombrer dans les neuroleptiques…

Sûr mais lugubre comme le chemin coupant par les buis et les bleuets ou au-dessus des champs de blés qu’on va bientôt mettre en bottes ; néolithiques et automnaux comme les journaux à tenir chaque jour pour faire dépérir des kaléidoscopes représentant des roses : les Fleurs du Mal qui ont soif d’un cauchemar australien et saumâtre, faim de souveraines tortures australopithèques tout en écourtant de courtes et confuses respirations, tandis que les moteurs de la fusée de Babel vrombissent ; seules les silhouettes de ses cyniques perlent comme un écho.

Être toujours à la recherche

Sur https://notesmat15.com un nouveau récit poétique

À la recherche des joueurs de dés pour faire vœu de charité j’avais comme une impression de déjà vu.

À la recherche des hominidés qui, avec un peu de chance, se détestaient et s’accusaient mutuellement d’avoir volé les chars d’argent et de cuivre, décidément ces visions de Blair Witch avaient été très mal négociées ; à la recherche d’un voyage à New-York pour géométriser leur brouhaha noir, les carnavaliers comme les joueurs de Las Vegas n’avaient qu’à comparer les prix des différents sites recensant les diverses opportunités. À la recherche de cette chance infime d’acquérir les proues d’acier et d’argent en contant des histoires surnaturelles à des ivrognes, les passagers des trains de marchandise comptaient bien phagocyter les orfèvres et leur douteux travail d’orfèvrerie…

Orfèvrerie et gnomes bienheureux

Comme un aveugle bienheureux, j’inventais des histoires surnaturelles et c’était inlassablement la même et unique histoire. Je racontais cette nuit où j’avais vu passer dans un état second des trains de marchandise, dans ces tunnels où j’errais.

Comme un aveugle bienheureux, j’imaginais alors le travail d’orfèvrerie des gnomes qui traînaient avec moi dans les tunnels et je pensais que des aiguilles d’or avaient été planté très profondément à l’intérieur de notre esprit…

Grunge et givre sur les lèvres

Les probabilités occultes se castagnent pour se faire un quinquina, les mutants à l’énergie dense, jamais conçus pour la production en série, solutionnent enfin le problème des races mais soulèvent encore malgré tout des interrogations, et les idées noires passent en une enjambée au-dessus du pont où Kurt a inventé le Grunge.
Expressive, simple et courte, je reste persuadé que si on bricolait un peu cette « trilogie américaine » alors on pourrait voir les arbres, qu’on a enrubanné, se parer de robes de butane ; les jeux de l’oie, à faire pleurer des Hordes de barbares, ne désirent rien d’autre que d’y mettre fin… comme apocalypse alors, sous la chaleur d’un soleil calmée par l’air marin, les kyrielles de pages Web aux profits juteux ainsi que les cartes mères de la machine emprisonnant l’archange empaillé, garderont en mémoire notre soif de crépuscule, nos souvenirs flottants et l’horizon inouï se transformant maintenant en huile de vidange.

La lecture

Quand je lui demandais de répéter un paragraphe, ou juste un mot, j’imaginais et anticipais pour elle des éléments perturbateurs manquants, des scènes de Kâma-Sûtra dans le lit de John Fante.
J’observais minutieusement ses seins et son corps nu ; elle jetait des coups d’œil suspicieux à cette bulle lactée en forme de nuage qui s’était formé au-dessus de ma tête. Elle lisait doucement, comme pour faire s’éterniser les heures, bercée par des idées gentiment sentimentales. Ce qui avait pour effet de ranimer autant la férocité que le psychédélisme de cette folle soirée qu’on avait vécu ; cette drôle de soirée qui compensait largement les égarements, les errements de tous ces enfants aveugles, interchangeables qu’on n’avait pas eu.
Pour rajouter du désordre à ce huis-clos, il y avait aussi, éparpillées sur le parquet de notre chambre, quelques coupures de presse qui faisaient allusion à sa folie, à son excentricité. Et, tandis que les enquêteurs s’égaraient dans des détails inutiles au sujet d’un meurtre passé, elle roulait ses yeux blancs et vitreux et magouillait avec la nuit pour qu’elle dure plus longtemps, cette nuit qu’on aimait pour l’amour de la nuit.

La partie d’échecs

La lumière des réverbères était ridiculement brillante et délavait tout, ce qui ne facilitait ni les ouvertures ni la mise au point en échec et mat. Et pour désapprendre les stratégies occultes des meilleurs joueurs d’échec, on avait ce petit livre à la couverture noire comme une panthère.
Sa lecture était censée nous transformer en plomb. Ignorant ou plutôt bravant le brouillard dehors, on n’en était encore qu’à quelques partages de pions, mais le froid nous engourdissait, ma rétine devenait rouge et semblait fumer comme les yeux de Beth, la modiste avec qui je jouais cette nuit-là, et elle était en train de m’expliquer pourquoi la dame blanche avait jadis dérobé la croix à la jeannette d’un pilote de rallye ; cependant cette science infuse et parfaite allait s’écrouler comme un château de sable quand mes cavaliers et mes fous se démultiplieraient, laissant place à un territoire que les sociétés de géographies occidentales lactaient de motifs grégoriens.

Genèse

Nous, les innombrables enfants aveugles, nous vivons enfermés dans cet endroit depuis toujours. Nous avons toujours connu ce dallage humide, ces murs froids à perte de vue, nous ne nous souvenons de rien d’autre. Nous ne savons rien de ces lieux, ni pourquoi nous y avons été placés. Nous nous terrons douloureusement dans les recoins de ces plaines bétonnées, tentant vainement de nous regrouper. Notre cécité fait de nous un troupeau mouvant, sans contours.
L’obscurité éclipsait tout. Et j’avais déjà frémis à l’idée que mes sens n’avaient plus de raison d’être si je n’avais plus rien à sentir, à toucher ou à goûter. Pourtant quand le lait maternel avait jailli des multiples seins de Beth Harmon, j’avais mis un genou à terre, et touché délicatement ses tétons qui giclaient. Les innombrables enfants de Beth ne sortaient pas de l’imaginaire de Lovecraft, pourtant ils étaient encore plus voraces que des monstres, plus effrayants et réclamaient sans cesse leur pitance.

Les joutes des samouraïs

Notre titanesque prison baigne dans le silence des abîmes, et nous avons toujours froid. Mais je sais maintenant que le soleil va se détourner des autres mondes et bientôt nous éclairer. Et pour notre prison où les joutes entre enfants plus ou moins bien portants ne cessent de désagréger les barreaux et les verrous, elle est davantage dans notre esprit et je sais aussi que les neuf-cents-quatre-vingt-dix-neuf portes ne vont pas tarder de s’ouvrir. Déjà les kyrielles de fiacres qui glissent le long d’Elsinore Lane, nous rapprochent des mondes qui viennent d’être enfantés.

J’ai appris aussi, il y a peu après des siècles après l’adoption de tous ces enfants, de tous ces jumeaux qui n’ont jamais vu le jour, qui n’ont jamais été désirés, les manuscrits et les traités de leur anatomie, prophétisaient déjà leur retour, et je pense que quand la lune sera géante, très basse dans le ciel, on peut espérer leur libération…

Les portiques de cobalt

J’avais pris le risque de les désorienter dans leur télépathie minérale ; télépathie que j’autogénérais depuis les collines de Twin Peaks.

Ils étaient tous d’une évanescence matricielle et, quand enfin il y avait l’éclosion, leur décapant jaune d’œuf exhalait des idées innovantes. J’avais pris le risque de les désorienter et même leur télépathie, aussi bien minérale que végétale, ne leur servait vraiment plus à rien… j’avais l’impression qu’ils allaient moisir parmi les kyrielle de seaux où leurs peintures moisissaient.

Pourtant ces êtres singuliers étaient revenus à l’état sauvage lors de leur sept-cents-soixante-dix-sept incubation, au moment où vos nuits étaient aussi agitées que clairvoyantes. Parce qu’ils avaient absorbé un amalgame de couleurs chaudes et diurnes, ils se confrontaient aux mystères du soleil vert ; ce soleil qui, en déclinant bien trop tôt, avait illuminé les gargouilles survivantes de Notre-Dame. Leur respiration s’entendait alors depuis l’entrée des portiques de grès rouge… et jusqu’au dernier étage de leurs appartements vides, où les voisins se plaignaient du Scentless de Kurt Cobain, ce qui n’était pas peu dire !

Est-ce que c’est toi, John Wayne ? Ou est-ce que c’est moi ?

Dissociés et autres rêveurs ensemencés comme les monstres sous la plaque d’égout. Timeline et messages codés qui défilent en symboles mathématiques….

Disque dur et kyrielle de serveurs qui, autrefois, défiaient la gravité en la pulvérisant ; début de dialogue et listes d’anxiolytiques qu’on ne peut retrouver que dans les grands manuscrits. Drakkars de vikings, et plans successifs qui zooment sur des scribes descendant des bouteilles de vodka. Deux types plongés dans le noir, l’un d’eux écrivant encore sa préhistoire.

Lumière blafarde qui pacifie les différents royaumes et Ernst Röhm qui, par son esprit ténébreux, opacifie le lait sur le feu… Formant des halos aveuglants et menaçants, la pitié de toutes ses victimes. Vénus de Laussel dans les champs de maïs, j’immortalise ces figurines préhistoriques, provenant d’un lointain flou, et j’imagine que je comprends enfin leur langue ancienne.